Ceux qui me connaissent savent qu’en tant que Gestalt-thérapeute et enseignant de mouvement dansé (Open Floor), je suis toujours curieux de découvrir de nouvelles pratiques d’exploration corporelle, comme autant de sources d’inspiration pour nourrir mon accompagnement, mais aussi développer ancrage et souplesse… Pour moi qui ait longtemps souffert de difficultés de coordination et d’équilibre, qui m’ont fait fuir les cours de gym, de Pilates ou d’arts martiaux dont je sortais toujours plus désespéré, qu’est-ce qui m’a bien pris alors me direz-vous de chercher à m’immerger dans le monde de l’Acro Yoga, qui exige justement une maîtrise que je n’avais pas ?
Une immersion de haute voltige
De l’Acro Yoga, je ne connaissais que ce qu’on en voit sur Internet. J’y voyais une pratique sportive à la mode, telle qu’il en fleurit régulièrement sur la côte californienne, un jeu de plage pour ados en mal de sensations fortes, dans un esprit fun californien, axée sur la performance acrobatique, un défi lancé aux forces de l’attraction terrestre et à la gravité, et dont les adeptes – jeunes dieux et déesses sveltes et dynamiques – semblent vouer un culte sans borne à la conquête d’un corps parfaitement sculpté et ciselé…
Une rencontre a suffi à briser ces clichés : Yohann Guichard, que je connaissais (et appréciais beaucoup) comme praticien en massage thaï, auquel il m’avait initié. En réponse à ma curiosité
et à mes questions inquiètes, il a su trouver les mots pour me donner envie, et surmonter
mes appréhensions. Il ne me restait plus qu’à trouver le courage de franchir le pas suivant :
et quel pas ! Plonger dans une « Immersion » (c’est ainsi qu’on nomme dans le monde l’Acro Yoga les sessions intensives de pratique) sans trop savoir ce qu’il en émergerait, ni ce que je pouvais bien en attendre. J’ai suivi mon intuition…
Il existe trois types d’immersions : Elémentaire, Solaire et Lunaire. La première présente les bases des deux autres. L’immersion solaire met davantage l’accent sur le caractère acrobatique des portés et des postures, qui s’enchaînent dans un mouvement continu et fluide… Cette forme de pratique demande une maîtrise technique qui la rend moins abordable aux débutants. L’immersion lunaire leur est quant à elle plus accessible. Aucun prérequis n’est exigé. Certes une expérience en yoga au sol est préférable. Pour le reste, il suffit pour se mettre en jambes et en bras de se laisser guider par les enseignants…
Une montée en puissance progressive
L’enseignement est structuré de façon graduelle. Le matin est consacré à l’apprentissage de l’art du massage thaï, un massage au sol très technique qui mobilise tout le corps, celui du massé autant que du masseur. En guise d’échauffement, on commence par une heure d’enchaînements d’asanas (postures) où l’accent est mis sur le souffle, sur l’ouverture et l’assouplissement des hanches et du dos (le masseur est appelé à se déplacer autour de la personne qu’il masse, avec l’agilité d’un chat), et sur les appuis des mains et des pieds (les pressions qu’exerce le masseur sur le corps de la personne qu’il masse se font par déplacement du poids du corps et non avec la force musculaire).
Ce massage constitue une excellente préparation à la pratique des portés explorée dans l’après-midi… Dès le premier jour, c’est le grand saut. Qu’on soit fille ou garçon, on occupe tour à tour trois positions : base (porteur), flyer (porté) et spotter (parade qui assure la sécurité du duo porteur-porté). En général on commence pas porter quelqu’un du même gabarit que soi, ce qui permet d’apprivoiser la sensation et d’affiner son placement au sol, sans compenser par la force musculaire qui très vite nous épuiserait. Car ce n’est pas la masse musculaire qui est l’élément le plus important dans le porté, mais l’alignement de la structure osseuse en appui sur le sol.
Un des aspects fondateurs de l’Acro Yoga n’est ni la performance ni la compétition, mais l’esprit de fraternité et de communauté qui lie les pratiquants. Pour mon baptême de l’air en tant que flyer ou au sol en tant que porteur, j’ai pu dépasser timidité et hésitations grâce au soutien et la bienveillance de camarades plus expérimentés et des enseignants. Être entouré de cette façon crée un sentiment de sécurité qui permet de plonger dans la pratique avec la tranquillité requise. Et peu à peu les peurs se dissipent et permettent de se lancer de nouveaux défis à soi-même.
S’ancrer dans la confiance
Dès le deuxième jour, j’ai commencé à sentir les bienfaits de la pratique : contrairement
à ce que je craignais, aucune douleur physique n’est apparue, que ce soit dans
les postures « forward » (vers avant, comme celle dite de la « feuille », où en appui sur
les pieds du porteur, au niveau de l’aine, on relâche tout le buste sur les jambes du porteur,
ce qui permet un étirement de la colonne) ou « backward » (à la renverse, toujours en appui
sur les pieds de son partenaire, mais qui vient se placer cette fois soit sur les fessiers
ou l’arrière de la jambe, comme, par exemple, dans la posture de la chauve-souris – « bat » –
ou dans celle du « hamac »)…
Au bout de cinq jours, cette initiation remplie de challenges n’a pas fait de moi un acrobate, mais elle m’a donné des ailes qui ne demandent qu’à se déployer… Je ne sais encore quelle suite j’y donnerai, mais l’envie est là de continuer l’exploration. Dire qu’elle m’a transformé n’est pas exagéré. J’en ressens des bienfaits tangibles : je suis arrivé tendu, fatigué, j’ai fini le stage comme régénéré, regonflé à bloc. Quel bonheur après le cours de me sentir plus aligné, plus ancré, en sentant des appuis au sol toniques et solides dans la marche, mes hanches plus ouvertes et mobiles, mon sacrum libre, ma cage ouverte, mes épaules relâchées et disponibles… Sentir ma structure osseuse me donne un sentiment de confiance et un allant extraordinaire. Je me sens comme galvanisé, le cœur plein d’une joie qui me surprend moi-même, du même goût que ce que j’avais éprouvé après une retraite de méditation.
Vers la joie
Certes, j’ai été traversé de temps à autre de vagues de découragement, voire de franc désespoir, devant mes difficultés à coordonner certains mouvements de jambes et de bras, notamment dans les transitions entre deux postures, qui demeurent périlleuses à mes yeux… Par moment, réaliser que je tenais au bout de mes mains et de mes pieds une personne qui s’abandonnait à moi, m’offrant sa vulnérabilité, me bouleversait… Comme je me surprenais moi-même à tenir bon, découvrant une solidité que je ne me soupçonnais pas. Une des principales leçons que j’ai apprise de mon immersion c’est que la véritable force n’est pas musculaire mais dans la souplesse et l’ancrage, tout comme la maîtrise technique exige l’abandon de toute forme de contrôle.
La première qualité demandée à un pratiquant est sa présence. En cela, l’Acro Yoga est bien plus qu’une discipline sportive et acrobatique. Elle s’enracine dans la tradition des arts corporels bouddhistes et s’apparente à une pratique spirituelle à part entière. On y retrouve l’expression des quatre incommensurables : metta, karuna, mudita et upekkha, soit l’amour bienveillant, la compassion, la joie et l’équanimité. Dans le dépassement de soi l’Acro Yogi ne cherche ni gloire ni récompense, juste la beauté du geste ample et généreux, qui donne sans rien attendre en retour. On dit qu’il est bon d’accueillir les défis que nous donne la pratique avec le sourire, le doux sourire qu’on lit sur les lèvres du bouddha, à la fois pleinement engagé dans la présence et libre de tout attachement.
Pour terminer, comme un bouquet final, les enseignants et les assistants nous ont offert de contempler un enchaînement fluide de postures aériennes improvisées à partir des figures de base… Régnait dans la salle un silence attentif et studieux. Comme si le temps s’était suspendu lui aussi… A mesure que nos voltigeurs évoluaient devant nous avec grâce, comme abandonnés aux porteurs, un profond sentiment de plénitude a émergé. Après cette immersion dans les profondeurs, cette émergence m’a saisi. J’avais l’impression de tournoyer avec eux entre ciel et terre, comme un moulin à prière qui tourne et tourne sans fin, un chant psalmodié qui se déploie en continu dans l’espace qui n’en finit pas de s’ouvrir, pris dans une douce transe, qui continue de me bercer, encore quelques jours après.
Christian Krumb, février 2016 ©
Gratitude
Gratitude aux deux enseignants pour leur enseignement et accompagnement : à Yohann Guichard pour son indéfectible sourire, son accueil et sa présence et sa confiance, et à Erica Montes, un brin de femme d’une douce puissance, pour sa rigueur, sa solidité, sa générosité, et sa persévérance qui m’a aidé à surmonter peurs et découragements, et à leurs deux assistants, tout deux brillants enseignants certifiés (et joyeux joueurs de ukulele), très justes dans leurs interventions : Julien Lévy et Francesco Semino.
Pour en savoir plus…
L’Acro Yoga est une forme de yoga dynamique, avec partenaire, qui combine l’expression de puissance du corps à travers des figures acrobatiques et l’esprit d’amour bienveillant du yoga et des pratiques énergétiques bouddhistes. Il a été co-fondé par Jenny Saurer-Klein et Jason Nemer, en 2003. Il propose deux voies distinctes : la voie solaire, plus acrobatique, et la voie lunaire, plus orientée vers le soin et la méditation. Les immersions dites Elémentaires permettent de conjuguer l’une et l’autre.
Voir : http://www.acroyoga.org/
Vous souhaitez pratiquer ?
Le stage auquel j’ai participé était la première Immersion lunaire organisée par Yohann Guichard à Paris, qu’il co-animait avec Erica Montes, accompagnés de deux assistants, Julien Lévy et Francesco Semino. Tous les quatre sont des enseignants certifiés. Si vous voulez goûter leurs enseignements :
Pour les ateliers offerts par Erica Montes, principalement à Londres, voir : http://www.acroyoga.org/app-teacher-directory/erica-montes
Pour les ateliers et stages proposés par Yohann Guichard, voir :
http://www.acroyoga.org/app-teacher-directory/yohann-guichard
Pour les ateliers animés par Julien Lévy (en Suisse ou dans les Alpes), voir : http://www.centre-kalya.com/
Pour les ateliers de Francesco Semino (en Italie), voir : http://www.acroyoga.org/app-teacher-directory/francesco-semino