Homme-training, les conquérants de l’intime

Stéphane, Renaud, Gilles sont des « Nouveauxguerriers », des hommes qui, le temps d’unweek-end, ont suivi des rites d’initiation pourexplorer les territoires de leur masculinité. Regards croisés sur ces conquérants de l’intime.

Lorsque Renaud s’est inscrit, il ne savait rien de ce qui l’attendait. Et pour cause : la fraternité des Nouveaux guerriers, émanation européenne du Mankind Project (1) se révèle douée pour le secret. Elle coopte ses membres et ses rituels initiatiques sont calqués sur ceux qui permettaient aux garçons de passer à l’âge d’homme dans certaines tribus amérindiennes. Ces stages respectent la structure traditionnelle en trois phases : séparation, transmission et intégration. Dans les tribus primitives, l’initiation correspondait à la nécessité de former des guerriers capables d’assurer la survie du clan. Elle répond aujourd’hui à d’autres enjeux, dont la création de liens de fraternité entre les hommes dans un monde individualiste et standardisé. « Quelques jours avant le Jour J, se souvient Renaud, 36 ans, comptable originaire d’Annecy, j’avais reçu une feuille de route avec des instructions concernant le matériel à apporter, les repas à prévoir, les vêtements… Rien de plus. » Après des heures de route à travers la forêt et la montagne, il arrive « au milieu de nulle part, dans un lieu absolument inconnu de mon GPS. Je me suis senti comme déboussolé et je me suis demandé si je n’étais pas en train de faire une connerie. Je ne le savais pas encore, mais l’aventure avait déjà commencé.»

ACTE I Perdre ses repères

Comme tout rite initiatique traditionnel, le processus commence par une phase dite de « séparation». Avant de pénétrer dans l’espace de l’initiation proprement dit, les participants traversent une sorte de sas où il leur est demandé de se délester de tout ce qui les rattache à leur univers habituel (papiers, bijoux, montre, argent, téléphone portable) pour ne garder que le strict nécessaire. Accepter de perdre ses repères et de se plier au cadre imposé par le processus constitue pour certains le premier défi. « Lâcher mes cigarettes, ok. Mes papiers d’identité, ma carte bleue, passe encore. Mais mon téléphone, alors là, c’était trop, poursuit Renaud. J’ai essayé de négocier, comme je le fais toujours quand je suis confronté à la loi, histoire de me donner l’illusion que je reste maître de la situation. Rien à faire. Je suis entré dans une fureur terrible. J’étais prêt à tout casser ! » Tant de colère pour un portable ? « Pour certains hommes, se retrouver face à des limites imposées par d’autres mâles bien décidés à les faire respecter est une épreuve en soi. C’est notamment pour se pacifi er qu’ils viennent ici… », répond Olivier, habitué des stages des Nouveaux guerriers. Sans plus aucun repère de temps ni d’espace, la deuxième phase de l’initiation peut commencer, appelée la « quête du héros ». « C’était comme embarquer pour un grand voyage dont je ne connaissais pas la destination », raconte Pascal, 49 ans, musicien.

ACTE II La quête du héros

Les exercices s’enchaînent à un rythme soutenu, tantôt en intérieur tantôt en extérieur, de l’aube jusque tard dans la nuit, avec, à chaque fois, un nouveau défi à relever. « Tout processus de transformation nous demande de nous dépasser, dit Christophe, 50 ans, luthier, porte-parole du centre francophone du Mankind Project. » Mais rien n’est imposé et surtout aucune violence n’est exercée, tant sur le plan psychique que physique. « Il ne s’agit en rien d’un entraînement paramilitaire comme on pouvait en voir chez les marines américains, par exemple, où l’on exhortait les soldats à tuer l’enfant et la femme en eux. Ici, on demande aux hommes de respecter leurs limites », continue Christophe. À mesure que le processus avance, les vernis craquent, les masques tombent. « Le plus beau moment, c’est quand j’ai pu enfi n lâcher le contrôle, raconte Stéphane, Parisien, 38 ans, coach. C’était dans un exercice où il s’agissait d’entrer en contact avec son “homme sauvage” intérieur. Au début, je souriais en douce de voir les autres pousser des cris. Et puis peu à peu, je me suis laissé prendre au jeu. Pour la première fois de ma vie, je suis vraiment “descendu” dans mon corps, dans mon bassin, dans mes couilles. J’ai senti toute l’énergie brute, primaire, animale qui était en moi et que je retenais en serrant les dents. De pouvoir exprimer ma puissance refoulée sans peur du ridicule a été très libérateur pour moi. Depuis, mes rapports avec les femmes n’ont plus jamais été les mêmes.»

ACTE III Se défier soi-même

S’il s’effectue en groupe, le voyage est avant tout personnel et intérieur, à la rencontre de sa part d’ombreet de lumière. Le challenge est parfois physique mais il est surtout d’ordre émotionnel. « Je m’attendais à ce qu’on me demande de patauger dans la boue, de traverser des précipices. Rien de tout cela ne m’effrayait, se souvient Renaud, grand, costaud et adepte des sports de haute montagne. Mais quand il a fallu que je soutienne en silence le regard d’un homme assis en face de moi, alors là, j’ai perdu tous mes moyens. Jeme sentais comme mis à nu : insupportable. » Si le processus ne saurait être assimilé à une psychothérapie,c’est un espace de guérison possible. Le vrai guerrier valeureux qu’on honore ici est celui qui sait affronter sa peur. Pendant les premières heures, Gilles se souvient que la sienne était si forte qu’il en était physiquement malade, au point de penser abandonner. « Mais pour une fois, j’ai tenu bon, raconte-t-il, et à un moment donné, lors d’une prise de parole, alors que les regards étaient braqués sur moi, quelque chose a basculé. Moi qui ne montre jamais mes émotions, j’ai fondu en larmes. Mon mal de ventre a disparu aussitôt. D’avoir pu dévoiler mes blessures à d’autres hommes m’a procuré un immense soulagement.» Le processus d’initiation ne s’arrête pas le dimanche soir, quand chacun reprend sa vie de tous les jours. Il entre en fait dans sa phase ultime : l’« intégration». Si certains décident d’en rester là, estimant qu’ils ont eu leur compte, d’autres décident de prolonger l’expérience par un travail sur eux-mêmes. Car il n’y a pas de miracle, tout processus de transformation exige un engagement à long terme.

ACTE IV Assumer ses choix

« La tentation après un week-end comme cela est de vouloir tout chambouler, explique Christophe. On conseille aux hommes d’attendre quelques semaines avant de prendre des
décisions radicales. » Julien se souvient que, dans les jours qui ont suivi son retour, tout s’est débloqué. « La vie n’était pas plus facile, mais j’étais enfi n capable d’assumer mes choix. Trois mois après le stage, j’avais déménagé, je m’étais installé au bord de la mer (mon rêve), j’avais créé mon activité indépendante. Et, surtout, la relation avec ma femme s’était apaisée. Je suis devenu le papa comblé d’un deuxième enfant. » Gilles, lui a retrouvé une sérénité qu’il craignait avoir perdue à jamais : «J’ai pu commencer un travail de pardon envers ceux qui m’avaient fait du mal dans le passé, en particulier envers l’homme qui m’a transmis le sida. » Pour lui, comme pour ceux qu’elle a bouleversés, l’aventure des Nouveaux guerriers est désormais celle de toute une vie.

(1) Mankind Project-Europe organise en France « L’Aventure initiatique des nouveaux guerriers », séminaire de développement personnel destiné aux hommes. Voir sur : http://france.mkp.org/

Christian Krumb, ©Psychologies Magazine, Hors-série mai 2010

 

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