Qui a dit que le tantra
était réservé aux
seuls hétérosexuels ?
Alpha Tantra propose
depuis 2008 un cycle
de stages fidèle à l’esprit tantrique qui intègre les spécificités de la sexualité gay. Pour en comprendre l’originalité et la portée,
le mieux est de se tourner vers quelqu’un qui
a traversé l’expérience
de l’intérieur. Rodolphe
est un initié de fraîche
date. À 40 ans,
après un long parcours
en psychothérapie
et en développement personnel,
il persistait à sentir
en lui un sentiment d’incomplétude. Il avait réussi, au sein du Mankind Project à se réconcilier avec son masculin. Mais il avait mis de côté la question de sa sexualité et de son désir. Pour l’aborder, il a choisi la dimension énergétique et spirituelle du tantra. Un tantra aux couleurs de l’arc-en-ciel, un tantra gay. Rencontre.
Les gays aussi montent au septième ciel
« La première fois que j’ai entendu parler de “tantra pour les gays”, explique Rodolphe, j’ai souri doucement, tant ces deux termes étaient pour moi inconciliables. » En tant que pratiquant bouddhiste, il considérait le tantra comme une belle voie d’éveil pour réaliser l’unité de l’être. « Dépasser l’égo qui sépare tout pour exister, moi et l’autre, féminin et masculin, force et vulnérabilité, corps et conscience, cœur et raison, me paraissait un enjeu essentiel. J’avais commencé à m’y atteler en pratiquant la méditation. Mais je n’arrivais pas à concevoir comment il était envisageable de réunir sexualité et spiritualité, tant les deux étaient séparés en moi. Cela m’apparaissait hors de ma portée. »
Mais surtout le tantra lui semblait inaccessible du simple fait qu’il s’adressait aux seuls hétérosexuels. « Les stages d’initiation réservés aux hommes que proposent des enseignants comme Jacques Lucas ou Patrick Ferrer, pour ne citer que ces deux-là, sont censés s’adresser à tous les hommes quelle que soit leur préférence affective. Mais la finalité du travail proposé pendant les séminaires demeure la rencontre avec le “beau” sexe, et la fusion des pôles masculin et féminin se produit pour un homme dans les bras d’une femme »…
Dans le tantra, le couple universel est représenté par les déités Shiva – la puissance masculine de l’esprit – et Shakti – la puissance féminine créatrice. Pour éveiller en lui l’énergie féconde de Shakti, la fameuse kundalini, que l’on représente comme un serpent tapi à la base du sacrum, l’homme doit s’unir avec la femme. « J’avais lu, se souvient Rodolphe, que la transmutation de l’énergie sexuelle recherchée dans le tantra ne pouvait se produire qu’entre des êtres de polarités énergétiques opposées et que dans la sexualité entre hommes, l’énergie stimulée stagnait dans le bassin. Elle ne pouvait pas “monter” et irriguer les différents chakras. » Et de rappeler que, dans les livres présentant l’enseignement du maître tantrique Osho, l’homosexualité est parfois sévèrement jugée, montrée comme une forme de sexualité archaïque, non évoluée qui ne peut trouver d’expression que dans la génitalité. Dans cette perspective, à l’image de la masturbation, elle n’est que pur gaspillage : au lieu de nous régénérer, elle épuise lentement mais sûrement le capital de vie de celui qui s’y adonne.
« J’en étais arrivé à la conclusion que si je voulais m’engager dans cette voie, je devais intégrer un groupe mixte, explique Rodolphe. Cela sous-entendait que je continue à mettre de côté une grande part de mon affectivité, moi qui cherchais au contraire à l’intégrer. » Il se confie alors de son dilemme à Jacques Lucas, qui lui répond tout net que le rejet de l’homosexualité est injustifié en ce qu’il nie que chaque être humain porte en lui les deux polarités yin et yang. Deux hommes peuvent donc parfaitement dans cette optique éveiller l’un chez l’autre la kundalini, de la même façon qu’un homme et une femme… « Il m’a alors indiqué le nom d’un de ses élèves, poursuit Rodolphe, un certain Éric Langaret, le fondateur d’Alpha Tantra, qui proposait un cycle de stages intégrant la sexualité gay. »
Relier sexe, cœur et conscience
« Quel soulagement ! Je sentais qu’une voie nouvelle s’ouvrait pour moi », poursuit Rodolphe. Éric Langaret n’est certes pas le premier ni le seul à avoir créé un espace tantrique pour les homos. Il suffit de surfer sur le web pour se rendre compte qu’il existe pléthore de propositions de rencontres pour gays avec une « toile de fonds » tantrique. « Hélas, poursuit Rodolphe, cette “toile” sert le plus souvent de cache-sexe, d’alibi spirituel pour des massages à caractère sexuel (avec frissons garantis). Le tantra y apparaît comme un chemin facile, fun et sans risque vers l’extase à bon prix. » Avant de préciser : « Rien de tout ça à Alpha Tantra. » Et il sait de quoi il parle puisqu’il vient d’effectuer coup sur coup le stage d’initiation (« De la sexualité à la conscience tantrique », qui propose une vue d’ensemble du chemin) et le premier stage du cycle d’approfondissement (« Des racines de l’énergie au cœur de la relation », où sont explorés les chakras racine, sacré, plexus solaire et cœur).
Fondé sur l’expérience, le tantra laisse peu de places aux discours et à la théorie. Les stages consistent en une succession d’exercices pratiques, appelées « structures », qui s’effectuent seul, en duo, ou en groupe petit et grand. La sexualité reste le levier fondamental. Mais, contrairement à d’autres programmes qui visent surtout à permettre aux participants d’agrémenter leur kamasutra, où tout est permis sans aucune limite ni restriction, à Alpha Tantra tout passage à l’acte sexuel est prohibé. Certes, le tantra est espace de liberté. Mais il n’est pas de vraie liberté sans cadre clair. « Ce n’est pas par pudibonderie ou moralisme, s’empresse de préciser Rodolphe, mais par respect d’un cadre éthique et déontologique clair. » Et d’ajouter : « Cette limitation, loin de créer de la frustration, crée un tel sentiment de sécurité et de confiance qu’elle nous rend beaucoup plus libre et disponible à ce qui se passe. »
Le tantra est une voie exigeante et confrontante en ce qu’elle nous met face à soi, dans une nudité qui n’est pas seulement symbolique. La plupart des exercices se font en effet dans le plus simple appareil. « Avant d’arriver au stage, la perspective de me retrouver au milieu d’un groupe d’hommes nus m’excitait et en même temps m’horrifiait. J’étais ambivalent, partagé entre le besoin de me cacher, de me protéger du jugement, et le désir d’être vu, de me sentir beau, désirable dans le regard de l’autre. »
Mais très vite, peurs et jugements tombent… « La simplicité avec laquelle les choses se sont passées ne cesse de m’étonner. Moi qui suis d’ordinaire pudique comme une jeune fille, qui prend la précaution de nouer une serviette autour de ma taille pour traverser mon appartement de peur que quelqu’un m’aperçoive par la fenêtre, à aucun moment je n’ai éprouvé aucun sentiment de gêne de montrer nu, ni de voir les autres nus, tant cela me semblait couler de source. J’étais profondément touché et honoré de la confiance que mes camarades me faisaient de se donner à mon regard. Je recevais cela comme un cadeau. Rien de dégradant dans cette nudité. J’y voyais au contraire un sens de dignité et de respect. »
Récupérer la source de son énergie vitale
La motivation première qui amène des hommes au tantra, c’est de se reconnecter avec leur désir, et à travers lui à la source même de leur énergie vitale. « Nous les gays vivons une époque paradoxale. Nous sommes censés pouvoir vivre librement notre sexualité. Mais dans les endroits prévus à cet effet, on ne se regarde pas, on se jauge, on consomme sur place sans se toucher vraiment, dans la pénombre, en retenant son souffle… Ces lieux de rencontre sont terriblement frustrants pour les personnes comme moi qui ont un gros besoin de contact. »
De frustrations en frustrations, « j’avais fini par mettre ma sexualité sous le boisseau, poursuit-il. Je croyais l’avoir transcendée, dépassée, sublimée dans des pratiques de massages ou de danse, ou dans mon groupe d’hommes, où j’avais trouvé de solides amitiés, parfaitement platoniques… Je me vantais d’être fidèle, de ne pas fréquenter les lieux de sexe. En vérité, j’étais en fait devenu un a-sexué. Que ce soit avec mon compagnon ou dans mes pratiques solitaires, je ne trouvais que peu de satisfaction dans la sexualité, mais beaucoup de honte et d’ennui… À force de retenir mes élans, j’avais étouffé tout désir en moi. Je m’étais réfugié dans l’imaginaire. Je m’étourdissais de fantasmes impossibles, mais dès que je voulais mettre en œuvre quelque chose dans ma vie, développer un nouvel aspect de mon activité professionnelle, rencontrer de nouvelles personnes, je n’arrivais pas à contacter et à mobiliser mon énergie. Je n’arrivais à rien, écrasé sous le poids de ma propre inertie. »
Rodolphe sentait confusément qu’il y avait un lien entre sa difficulté à se mettre en mouvement dans la vie et sa libido en berne. Mais comment faire pour sortir de là ? « La psychothérapie m’avait apporté des réponses, mais pas de vraie libération. Une des premières leçons que m’a apprise le tantra, poursuit Rodolphe, c’est que mon désir n’est pas mon ennemi. J’avais tort de m’en méfier… En laissant l’énergie de mon désir circuler librement en moi, j’ai pu mesurer à quel point elle était ô combien abondante, généreuse, puissante et féconde. Ce n’était donc pas de la libérer qui me rendait fou ou malheureux, comme un fauve qui bondit hors de sa cage, c’était bien de la retenir. Ce que je faisais depuis des années… À m’en rendre malade ! »
De nombreuses structures visent à libérer l’énergie vitale figée dans le bassin. On y apprend à laisser l’énergie se déployer comme une « vague », qui déferle et nous submerge de bas en haut. C’est du reste ainsi que l’on nomme la plus célèbre des structures. Cette forme de méditation à deux est appelée également « chevauchée » en raison de la posture adoptée, où l’on monte à califourchon sur son partenaire, face à face, pubis en contact. Cette pratique demande une certaine maîtrise mais surtout de lâcher toute volonté de contrôle. L’énergie se déploie alors en spirale dans un flux ascendant le long d’un axe vertical et arrose en chemin tour à tour tous les chakras, les ouvrant les uns après les autres, pour finalement atteindre le chakra couronne, la conscience, unifiant l’être entier, dans un sentiment de plénitude. « C’était comme entrer en transe, se souvient Rodolphe, à un moment donné, j’ai senti que j’étais mu par l’énergie, je ne la contrôlais plus. »
Le toucher est une autre façon de faire monter l’énergie. Le massage se pratique sous toutes ses formes, à pleines mains, profond, enveloppant, énergisant, ou du bout des doigts, subtil et léger comme une plume, ou encore engageant toute la surface de la peau, toutes les parties de son corps. « Je ne me reconnaissais pas, s’étonne Rodolphe. Je n’en reviens toujours pas de l’aisance que j’ai eu à m’offrir aux mains de mes partenaires ou à me donner à eux. » Au bout du compte, il n’y a plus de séparation entre celui qui donne et celui qui reçoit. Les énergies se mêlent, dans un ballet inépuisable, dont chacun se nourrit. C’est sans fin. « Dans l’acte sexuel, on sait comment cela va se terminer à coup sûr, témoigne Rodolphe. Le scénario est écrit d’avance. Ici l’expérience est nouvelle à chaque fois. On ne sait jamais où cela va nous emmener. »
Une voie de guérison
Le tantra est un chemin de roses et de sang. La façon dont il est présenté sur certains sites Internet, comme une voie de plaisir garanti et sans limites est un leurre. « Le tantra est une voie merveilleuse, magique, insiste Rodolphe, mais qui demande un engagement très fort, pour ne pas dire total, sans quoi on passe à côté de l’essentiel. » Croire que l’on peut guérir son désir blessé, redorer l’image que l’on a de soi et accéder à une sexualité épanouie, avec orgasme à la demande est une illusion. « Si on vient au tantra avec ces croyances, on en revient très vite, et très déçu. Comment croire que l’on peut changer comme ça, sans y mettre du sien ? »
La qualité de l’accompagnement est très importante. « Pour moi, explique Rodolphe, il était impensable de suivre un tel stage avec quelqu’un en qui je n’ai pas confiance. Éric a non seulement une longue expérience du tantra, mais il est également psychothérapeute. Cela compte. » Car la pratique du tantra n’est pas un sport. En réveillant l’énergie dormante de la kundalini, tout ce qui est non résolu en soi, les deuils non bouclés, les mémoires traumatiques anciennes non assimilées, les émotions enkystées non acceptées, tout cela peut ressurgir sans coup férir…
« Ça brasse !, lâche Rodolphe. Tout mon schéma affectif s’est révélé, ma façon d’aller vers l’autre, de m’accrocher à lui, ma peur tout autant que mon désir ardent, intense, passionné de contact. » Mais il ne se plaint pas d’avoir été déstabilisé, secoué même, poussé dans ses retranchements parfois. « Dans le fonds, c’est ce que je venais chercher. Jamais jusque alors je n’avais expérimenté la puissance du travail énergétique. Non seulement cela m’a donné des prises de conscience, mais la sensation d’une vraie libération… Avec le recul, tout s’est bien passé. La tristesse abyssale que j’ai touchée à un moment, curieusement était mêlée de joie, cette joie que l’on éprouve quand on retrouve un être cher après des années de séparation. »
Rodolphe n’a pas traversé que des moments difficiles et douloureux, il a aussi vécu des moments de vrai bonheur. « En tantra tout est concentré, accéléré. On en vient très vite à l’essentiel. On travaille sur tous les axes, avec la sexualité, l’énergie, les sensations corporelles, les polarités yin et yang… De traversée en traversée, on passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Je n’en reviens toujours pas de l’énergie que ce travail a libérée. Lors de mon initiation, j’avais l’impression de porter un soleil qui irradiait bien au-delà de moi. Je n’osais imaginer ce que je ferais de cette énergie colossale à mon retour. Je devais apprendre, moi qui avait pris l’habitude de vivre en sous-régime, à l’apprivoiser et à la diriger de façon créative, au service de mes projets en souffrance, par exemple… »
Une voie de réconciliation
Chemin d’acceptation, le tantra nous fait revisiter toutes les dimensions de notre être. « Je pensais que pour moi la question identitaire était résolue, explique Rodolphe. Cela faisait dix ans qu’il n’avait pas mis les pieds dans un groupe gay. Moi qui avais été plus jeune très attaché à l’idée de “communauté”, explique-t-il, qui avais milité dans des associations pour aider des hommes en souffrance à s’accepter mieux, j’avais fini par fuir le milieu comme la peste, déçu par l’étroitesse d’esprit, le conservatisme et la violence que j’y avais rencontrés. Depuis que j’étais membre du groupe d’hommes le Mankind Project, je répétais à l’envi que j’étais un homme comme les autres, qui ne saurait être réduit à ses préférences sexuelles. Mais j’avais beau le nier, mon besoin d’appartenance restait aussi fort qu’insatisfait. »
Et de poursuivre : « Tous les participants ne viennent pas avec les mêmes attentes, reconnaît Rodolphe, mais je ne pense pas me tromper en affirmant que tous partagent un désir de rencontre. Mais de vraie rencontre. » Ce n’est pas le moindre des mérites d’Éric Langaret d’avoir su créé les conditions pour qu’elle ne reste pas une utopie. « Les stages sont comme une oasis dans le désert. Depuis l’avènement d’Internet, j’ai le sentiment que nous vivons de plus en plus isolés. Les gays n’échappent pas à la règle. Les lieux de convivialité sont devenus rares. Nombreux sont ceux qui souffrent de la solitude. »
Les groupes de tantra rassemblent des hommes d’horizon très divers, tous singuliers par leur âge, leur origine géographique, socio-culturelle, leur tempérament, leur sensibilité, leurs attentes… L’osmose qui se crée de façon quasi immédiate entre des personnes si différentes est un élément magique du processus. « C’est d’autant plus étonnant que cela se fait tout seul, explique Rodolphe. Jamais je n’avais ressenti dans aucun groupe une telle intimité, un tel engagement et en même temps un tel respect des uns envers les autres. »
Le tantra n’est pas un chemin solitaire. En tant que voie de l’amour, il est centré non pas sur le Moi mais sur la relation. « C’est une illusion de croire que nous sommes des îles séparées les uns des autres par des océans infranchissables, analyse Rodolphe. Le tantra nous aide à abolir la distance entre soi et l’autre, non pas vu comme un alter ego (un autre Moi), une copie ou un reflet de soi, mais bien plutôt comme “quelqu’un”, un territoire à part entière, familier et en même temps inconnu, à découvrir à chaque fois à neuf. Nos singularités mises à nu ne sont pas mises en avant pour nous distinguer, nous comparer, nous évaluer. Lorsqu’on existe pleinement, ce qui nous rassemble les uns aux autres nous apparaît encore plus clairement : notre part d’humanité, qui n’est pas notre plus petit dénominateur commun, mais notre trésor partagé, notre être véritable. »
La vulnérabilité est la vraie force
En entendant, lors du tour de feed-back, ses compagnons de route associer son nom à la force, Rodolphe s’est rendu compte qu’il pouvait aussi être protecteur, lui qui avait toujours regretté de ne pas être père… Il était temps d’abandonner cette représentation qu’il se faisait de lui-même, qu’il était faible parce que sensible… L’accès à ses émotions, à la tristesse, à la colère comme à la joie et au plaisir lui est tout à coup apparu comme les conditions de la véritable force.
Pendant le stage, tout homme est appelé à contacter en lui sa vulnérabilité, son cœur à nu, parfois à vif… « On ne peut toucher la plénitude de l’être en restant fermé à ce qui est tendre, humide, fragile en soi. Tant qu’on ne veut pas accueillir et intégrer ces aspects de soi, on ne peut pas s’ouvrir complètement. » « S’accueillir », ou « s’accepter » ne sont pas des mots d’ordre comme on en lit à la Une des magazines de développement personnel. L’acceptation totale et sans condition de qui nous sommes profondément est un chemin courageux, de longue haleine. Elle demande de rendre les armes, sans quoi on reste prisonnier de ses démons qui continuent de nous dominer de leurs peurs.
Mais le travail ne peut se faire sans notre consentement plein et entier. Le tantra n’oblige à rien, surtout pas à changer. Cela ne dépend que de soi. « À chaque structure, il est demandé d’exercer son libre arbitre, de choisir son partenaire ou de choisir de se laisser choisir, ou de choisir de ne pas choisir, qui est une forme de choix à part entière. » Cela fait du tantra une école de la responsabilité. « J’ai pu voir un participant refuser de travailler avec tel autre – son choix a été assumé par les deux parties, avec émotion, mais sans drame. Nous avons parfois peiné dans certaines structures exigeantes sur le plan de l’endurance mais je n’ai vu personne abandonner ou refuser les exercices parce qu’ils étaient trop difficiles »… Le cadre y est pour beaucoup. La présence de deux assistants, qui secondent Éric dans son accompagnement, constitue un appui pour se dépasser.
Le plus difficile pour Rodolphe n’a pas été d’intégrer le groupe, mais de s’en séparer. « L’osmose était telle entre nous que j’avais du mal à envisager le retour. Je connaissais ma difficulté à créer et à maintenir le lien… Je suis tombé sur cet os dans tous les groupes auxquels j’ai participé. Mais au lieu de le gérer comme d’habitude, d’un revers de main, j’ai choisi cette fois de le mettre au travail. Oh ! pas tout seul. Marcel, un des assistants d’Éric, m’y a aidé, ainsi que le groupe tout entier. Dès le matin du dernier jour, je commençais à éprouver une sensation d’angoisse diffuse… J’avais l’impression d’avoir perdu mon axe, j’étais comme abattu. Mais au lieu de nier l’angoisse et d’étouffer la tristesse en moi dans le sable du déni, comme je le faisais de toute manifestation de vulnérabilité, j’ai réussi à en faire part au groupe. Éric m’a invité à prendre non pas la poudre d’escampette comme j’étais tenté de le faire, mais à m’accorder le temps nécessaire à la séparation et de prendre soin de dire au revoir à chacun des participants en lui demandant en conscience d’emporter quelque chose de lui avec moi, une chose ou une image, la couleur de son vêtement, l’odeur de son parfum… » En faisant cela, Rodolphe a pu calmer l’angoisse terrible dont l’enfant en lui était la proie. « Ils avaient l’air content, ému, parfois, que je veuille prendre un peu d’eux avec moi, et moi j’étais heureux aux larmes de parvenir à créer un lien vivant en moi avec eux qui perdurerait après mon départ. J’avais l’impression de compter pour eux, autant qu’ils pouvaient compter pour moi. »
La voie de l’amour
Comme on le voit le sexe n’est pas tout dans le tantra. « Derrière le sexe, il y a l’amour, disait Osho derrière l’amour, il y a la prière ; derrière la prière, il y a le Divin. Considérez le sexe comme un commencement ! » « L’amour est au cœur de la voie tantrique. Pas l’amour dans le sens commun du terme, tellement galvaudé, précise Rodolphe, il s’agit là de l’amour dépsychologisé, pleinement incarné, qui intègre toute la puissance de feu du désir reliée à la conscience. C’est l’amour qui fait le lien entre sexualité et spiritualité, entre cœur et conscience. Réduire cet amour à son plaisir égoïste est mesquin. Il s’agit au contraire de lui donner droit dans toute son ampleur. La pratique consiste à laisser se remplir un vase pour qu’il déborde. Toute cette abondance, on ne la garde pas pour soi, on la laisse se répandre autour de soi, tout submerger. Cet amour-là n’appartient à personne. Il est pure présence et pur don. Il n’attend rien en retour. Il ne souhaite rien posséder. C’est lui le véritable guérisseur. »
Centré sur l’intimité et la relation, le tantra est la voie privilégiée pour le couple – « qui n’est pas le lieu le plus évident où rencontrer l’amour », précise Rodolphe. Ils sont nombreux à venir aux stages, accompagné de leur compagnon, pour y trouver un chemin d’évolution commun. Rodolphe, qui vit en couple depuis longtemps, a fait le choix d’accomplir ce chemin seul, sans son conjoint. « Je suis venu d’abord pour me retrouver moi. Longtemps j’ai eu tendance à me perdre dans mes relations amoureuses. Je croyais par exemple que je me devais d’être transparent devant mon compagnon, de tout lui montrer, de tout lui dire… Quelle erreur ! » Le tantra représente pour Rodolphe une étape importante dans la reconquête du jardin de son intimité. « J’ai pris conscience qu’en cultivant mes rêves et mes désirs propres, mon couple en profiterait (cela a du reste commencé : c’est encore timide, mais nous avons doucement retrouvé le chemin l’un vers l’autre)… »
Pour l’injonction de transparence, c’est une autre histoire. Une clause de confidentialité interdit à Rodolphe de dire à son compagnon quoi que ce soit de ce qui se passe pendant les stages. « C’est très bien comme ça. Je n’ai pas le sentiment d’être déloyal envers lui, et son côté il respecte mon engagement et mon silence. » On lui avait dit qu’il était risqué d’entreprendre un tel travail sans la personne avec qui on partage sa vie. « Certes, j’ai pu observer un décalage entre nous, dû sans doute à un niveau d’énergie différent. Cela a pu donner lieu à quelques épisodes orageux, salutaires, en qu’ils nous ont permis de nettoyer l’atmosphère et nous accorder de nouveau. Par un phénomène de synchronicité, je relève que quand j’étais en stage, lui qui consacre toute son énergie à son travail, par goût autant que par devoir, a pris du temps pour lui, pour se reposer. Je le perçois parfois encore coincé dans des schémas de répétition, des jeux de projection sur moi. Mais il ne m’appartient pas de les régler à sa place, comme je croyais que je devais le faire, en bon samaritain. Ce n’est pas ça l’amour. Je relève que je deviens plus ferme et aussi plus tolérant vis-à-vis de lui. Je ne suis plus dans le don perpétuel, le sacrifice, je commence à formuler de vraies demandes… Et du coup, je reçois et je donne de vrais “oui” (comme de vrais “non”). »
Un grand « oui » à l’existence
La dimension spirituelle du tantra trouve sa matérialisation dans la salle de pratique – que l’on appelle ici un « temple » – emplie d’une multitude de représentations de Shiva et de Shakti, qui symbolisent respectivement les principes masculin et féminin, mais aussi de Bouddha. Ces figures rappellent le double lignage bouddhique et shivaïque du tantra. Mais son origine est bien plus ancienne que ces traditions. Elle remonte à environ 5 000 ans avant Jésus Christ.
Ces images ne doivent cependant pas nous tromper. « Éric insiste sur le fait que le tantrisme n’est pas une religion, précise Rodolphe. Il ne nous demande pas de croire à quelque chose ni d’adhérer à une pensée. Les statues de Bouddha et de Shiva sont avant tout comme des invitations, des rappels, des guides pour la pratique. »
Le tantra tel qu’Éric le transmet se réfère pour une grande part à l’enseignement du maître tantrique indien Osho, un des grands maîtres tantriques du XXe siècle, qui a profondément renouvelé et modernisé l’enseignement du tantra en l’adaptant au mode de vie urbain et occidental. Celui-ci a introduit notamment de nouvelles formes de méditations « dynamiques ». « Chaque matin nous en pratiquons une, pendant une heure, raconte Rodolphe. Il y en a de très belles, comme “No dimension”, qui est inspirée de la transe des derviches tourneurs… »
À l’heure du départ, avant que le groupe se sépare, Rodolphe se souvient de son émotion dans le cercle de parole de clôture. « Il suffisait de regarder le visage des autres participants pour deviner que chacun de nous avait vécu un moment important de son existence. D’où me venait cette impression de connaître certains depuis des mois alors que nous n’avons passé ensemble que quelques jours ?… »
Dans quelques mois Rodolphe participera au second volet du cycle, qu’il ne manquerait sous aucun prétexte (« Amour, conscience et spiritualité », où il est question des chakras du cœur, de la gorge, du troisième œil et de la couronne). Il s’est inscrit aussi à ce qui constitue l’étape ultime du voyage, le mystérieux « Orgasme dans la vallée », réservés aux participants les plus avancés, durant lequel ils recevront le titre de tantrika, lors d’une cérémonie équivalente à la prise de refuge bouddhiste, où ils s’engageront à intégrer dans leur vie quotidienne les principes de vie du tantra.
Vivre tantriquement, Rodolphe, qui vient de s’engager dans le chemin commence cependant à en avoir une petite idée… Pour lui, c’est d’abord rester fidèle à l’esprit d’amitié et d’ouverture présents pendant les stages. « D’après ce que j’en ai compris, explique-t-il, je dirais que l’essentiel tient en un seul mot : “Oui.” Oui à la vie, aux situations telles qu’elles se présentent, à ce que je ressens, à mes émotions, sans jugement, sans rien vouloir changer. Un oui qui accueille sans condition. Un oui qui accepte sans se résigner. Pas un oui passif, défaitiste ou forcé. Un oui qui sait ce qu’il veut. Un oui qui ose dire “Je ne sais pas”. Un oui qui ne se prend pas trop au sérieux. Un oui qui laisse la place à l’esprit d’enfance et qui s’émerveille de tout, de chaque visage comme de chaque paysage. Un oui à la rencontre, la vraie rencontre, chacun dans sa singularité. Ni différents, ni identiques, tous uniques, tous magnifiques ! »
© Christian Krumb
Pour aller plus loin
Éric Langaret est Gestalt-thérapeute. Il a été formé au tantra par Marisa Ortolan et Jacques Lucas, les fondateurs d’Horizon Tantra. Il a lui-même fondé Alpha Tantra en 2008. Si vous souhaitez en savoir plus sur les séminaires proposés par Alpha Tantra et Éric Langaret, rendez-vous sur son site Internet : www.alphatantra.fr Mail : tantragay@free.fr Tél. : 06 10 20 40 00